Le féminisme est-il “un luxe” réservé aux femmes privilégiées ?

Nounou, femme de ménage, clubs de networking privés, indépendance financière… L’émancipation, pilier des revendications féministes, a-t-elle un prix que seules les femmes les plus riches peuvent se permettre ?

 

Pour se débarrasser des stéréotypes qui obstruent leur horizon, les femmes semblent disposer de solutions simples. Pour la charge mentale et domestique, apprenez à déléguer… à une femme de ménage. Si vous souhaitez vous dégager du temps pour un loisir personnel, payez une nounou pour garder les enfants. Prendre en main sa carrière ? Rejoignez un club de networking privé ou économisez pour vous offrir un ticket à prix d’or pour le Women’s Forum. Pour vivre la sororité, vous pouvez également débourser 37 euros pour assister aux deux jours de festival féministe du collectif 52 ou opter pour le pack VIP Royale Deluxe à 79 euros l’année proposé par Les Glorieuses, donnant accès à un club littéraire, des événements, des réductions promos et des tatouages éphémères…

 

Les femmes précaires, dans l’ombre médiatique

Il paraît en effet toujours plus facile de s’émanciper et de le revendiquer haut et fort, lorsque l’on touche plus qu’un SMIC. Dans le passé, ce sont d’ailleurs les favorisées qui ont porté les revendications féministes. C’est une réalité historique : les plus privilégiées ont des capitaux culturels et économiques qui facilitent l’engagement au service de la cause, explique l’historienne Christine Bard, auteure de “Le féminisme au-delà des idées reçues” (Le Cavalier bleu, 2012) et du Dictionnaire des féministes (PUF, 2017). Dans les années 1960-1970, le MLF était surtout composé de femmes de classes moyennes et supérieures, de femmes diplômées. Ironie du sort : cette émancipation des plus riches repose “en partie sur l’exploitation économique des femmes pauvres dans le système social actuel”.

 

Car, si elles ont tout autant droit à l’égalité, il est moins évident pour les femmes précaires de quitter un foyer violent ou abusif, faire grève contre les inégalités salariales ou de ne pas écoper de la charge mentale. La domination masculine s’exerce sur toutes les femmes, bien au-delà des différences socio-économiques. Cependant, sous la lumière médiatique, le féminisme apparaît de plus en plus comme un accessoire branché, à l’image du t-shirt Dior We should all be feminists (vendu 550 euros). L’injustice économique dont les femmes sont massivement victimes : travail domestique gratuit, bas salaires, surexposition au chômage et aux CDD à temps partiel, retraites misérables, est une question vraiment peu présente dans les médias, de même que leurs luttes.

 

Le féminisme bourgeois, l’argument préféré des anti-féministes

Caricaturé comme un bien de consommation ou de luxe, le féminisme se retrouve d’autant plus éloigné des femmes qu’il pourrait réellement servir. À travers les critiques sur le “féminisme bourgeois” s’expriment aussi des critiques politiques de mauvaise foi qui veulent disqualifier le féminisme tout court, qui minimisent le caractère pluriel du féminisme. Beaucoup de féministes ont en effet voulu concilier la lutte contre les injustices sociales et la lutte pour une répartition égalitaire du pouvoir. Toutefois, la gauche s’est servi du stigmate “féminisme bourgeois” pour empêcher le double militantisme féministe et socialiste, notamment au Congrès de Stuttgart en 1907. Et puis, on nous a aussi appris que la lutte des classes devait toujours passer avant la lutte des sexes !

 

Si ces formes de récupération créent une confusion, l’historienne Christine Bard y voit quand même une raison de se réjouir. La récupération est en soi l’indice qu’il y a une légitimité de la cause des femmes qu’il est intéressant de capter. C’est plutôt positif si l’on compare ce genre de moment avec ceux où le féminisme est rejeté, disqualifié avec violence comme une folie ou un danger mortel pour l’humanité, explique-t-elle. Déjà à l’époque de la première vague du féminisme, fin XIXe-début XXe siècle, quand il a commencé à connaître un succès médiatique, il y eut une épidémie de “pseudo féminisme”. Des conférenciers, des auteurs surfaient sur cette vague en se donnant une étiquette qui ne correspondait pas du tout à leurs idées conservatrices ou modérées. L’important reste de ne pas confondre la copie et l’original.

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